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PARTIE IX – RÉVISION DE LA LLO : SANTÉ ET FOYERS DE SOINS (PROPOSITIONS DE MODIFICATION)

Dernière mise à jour : 29 juin 2021


A. Services de santé


Les établissements de soins de santé remplissent un rôle vital dans le maintien et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Plus que de simples points de services publics, ils forment de véritables pôles institutionnels pour ces communautés. Ils sont pour les membres de ces communautés le reflet de l’identité de celles-ci. La valeur qu’ils représentent repose, en premier lieu, sur la fonction symbolique qu’ils exercent. Les établissements de santé ne sont certes pas des lieux de socialisation; on n’y séjourne ordinairement pas longtemps, mais ils sont chargés d’une signification symbolique qui produit des effets réels sur les modes de pensée des gens, sur leurs mentalités, leurs sentiments et leurs motivations.


La question de l’accès aux services de santé fournis en français suscite diverses préoccupations au sein des communautés francophones du Canada. Plusieurs études ont montré que la langue peut constituer une barrière à l’accès à des services de santé de qualité[1]. Or, ce constat est d’autant plus préoccupant quand on y ajoute le résultat des recherches qui montrent à quel point la langue employée est hautement significative dans la prestation des services de santé. Elles indiquent que pareille absence d’accès ou un tel accès limité porte fortement atteinte à la vitalité de ces communautés. D’où l’importance d’assurer un service de qualité égal dans les deux langues officielles dans tous les domaines relevant des services de santé.


Dans l’arrêt Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), la Cour d’appel de l’Ontario à émis l’avis avis que l’hôpital t constituait un atout précieux pour la communauté minoritaire. En infirmant la décision de la Commission de restructuration des services de santé de l’Ontario, qui avait proposé la fermeture de l’hôpital francophone Montfort, la Cour avait écrit:


"Montfort a un rôle institutionnel plus large que la prestation des services de soins de santé. En plus de remplir la fonction supplémentaire de dispenser la formation médicale, le rôle institutionnel plus large de Montfort comprend notamment celui de maintenir la langue française, de transmettre la culture francophone et de favoriser la solidarité au sein de la minorité franco-ontarienne[2]


Au cours des dernières décennies, les recherches sur les impacts des barrières linguistiques dans le domaine de la santé se sont multipliées. Elles mettent de plus en plus en évidence l’impact de ces barrières sur l'accès aux soins de santé, la sécurité des patients et la qualité des soins offerts. Ces recherches révèlent également que l'importance de la langue en santé est généralement assez méconnue et qu'il existe toujours de nombreuses idées fausses sur les stratégies visant à surmonter les obstacles que cela peut poser. De nombreux administrateurs, fournisseurs de service et professionnels de la santé ne sont souvent pas conscients des risques pour les patients de ne pas aborder correctement les obstacles posés par les barrières linguistiques et ils continuent à voir la prestation de services en santé dans les deux langues officielles comme n’étant rien de plus qu’une réponse à une demande d’accommodement et non comme un service essentiel.


En raison de ce manque de compréhension, de nombreux établissements de santé continuent à s’appuyer sur des moyens qui présentent des risques pour le patient pour offrir des services à la communauté minoritaire de langue officielle. L’idée fausse la plus répandue est que si un patient parle un peu anglais, on peut lui offrir le service dans cette langue sans aucun problème. Pourtant les recherches indiquent clairement que le risque de mauvaise communication est souvent très élevé dans ces cas. La raison est pourtant assez simple à comprendre : il existe une présomption, qui malheureusement peut être fausse, que le patient qui parle anglais comprend sans difficulté toutes les nuances linguistiques de ce que le professionnel de la santé est en train de lui expliquer.


Une fausse conception qui est malheureusement trop répandue au Nouveau-Brunswick est que les francophones étant bilingues, l’accès à des services de santé ne présente pas un obstacle pour eux même si ces services sont offerts en anglais. Bien qu’il soit vrai qu’une majorité de francophones au Nouveau-Brunswick sont bilingues, il n’en demeure pas moins que de nombreuses personnes bilingues qui travaillent et interagissent en anglais au quotidien peuvent se trouver dépourvues en anglais dans des situations de stress émotionnel ou de crise, à un point tel qu’elles sont incapables de comprendre ce que le professionnel de la santé est en train de leur dire. Cette situation peut être difficile à comprendre pour un anglophone qui n’a jamais eu à vivre une telle situation. Être forcé de communiquer dans sa deuxième langue dans une situation de crise peut augmenter le stress et l’inconfort. Étant donné que les soins de santé sont, règle générale, fournis dans un environnement stressant ou en situation de crise, la langue devient dans ce contexte une considération importante.


C’est donc avec ce contexte en tête qu’il faut concevoir la question des langues officielles en matière de santé.



A. La Loi sur les langues officielles et la santé

Les articles 33 et 34 de la Loi sur les langues officielles traitent des langues officielles et des services de santé. Ces articles prévoient :


33(1) Aux fins de la prestation des soins de santé dans la province et malgré la définition du mot « institution » à l’article 1, une institution au sens des articles 27 et 28 s’entend du réseau des établissements, installations et programmes de santé relevant du ministère de la Santé ou des régies régionales de la santé établies en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé.


33(2) Lorsque le ministre de la Santé établit un plan provincial de la santé en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé,


a) il veille à ce que les principes sur lesquels sont basés la fourniture des services tiennent compte de la prestation, dans les deux langues officielles, des services de santé dans la province, et

b) il considère la langue de fonctionnement habituelle en vertu de l’article 34.


34 Sous réserve de l’obligation de servir le public dans la langue officielle de son choix, l’article 33 n’a pas pour effet de limiter l’usage d’une seule langue officielle par un hôpital ou par un autre établissement tel que défini dans la Loi sur les régies régionales de la santé lorsque la langue utilisée est celle dans laquelle hôpital ou l’établissement fonctionne habituellement.


Le libellé du paragraphe 33(1) de la Loi sur les langues officielles me laisse perplexe quant à la véritable intention du législateur. L’intention du législateur est-elle vraiment de réduire la portée du mot «institution» dans le contexte des établissements de santé?


Le mot « institution » est défini à comme suit à l’article 1 de la Loi sur les langues officielles :


« institution » désigne les institutions de l’Assemblée législative et du gouvernement du Nouveau-Brunswick, les tribunaux, tout organisme, bureau, commission, conseil, office ou autre créés afin d’exercer des fonctions de l’État sous le régime d’une loi provinciale ou en vertu des attributions du lieutenant-gouverneur en conseil, les ministères, les Sociétés de la Couronne créées sous le régime d’une loi provinciale et tout autre organisme désigné à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick ou placé sous le contrôle du lieutenant-gouverneur en conseil ou d’un ministre provincial


La définition du mot «institution» à l’article 1 est, à mon avis, suffisamment large pour englober tous les établissements de santé[3] de la province, y compris les deux régies régionales de la santé et les hôpitaux.


Or, le paragraphe 33(1) précise que, aux fins de la prestation de ces services au public, c’est le réseau de la santé qui doit assurer les services de santé dans les deux langues officielles. L’intention du législateur serait donc, aux fins d’application des articles 27 et 28 (langue de service et de communication), de n’imposer aucune obligation directe aux établissements de santé, aux installations et aux programmes de santé relevant du ministère de la Santé ou relevant des régies régionales de la santé, mais de n’imposer ces obligations qu’aux réseaux Horizon et Vitalité. De plus le paragraphe 33(1) ne fait mention ni de l’article 28.1, consacré à l’offre active, ni de l’article 29, consacré à l’affichage.


Ainsi, les établissements de santé, les installations et les programmes de santé, qui comprennent évidemment les hôpitaux, n’auraient pas d’obligations au titre des articles 27 et 28 (langue de service et de communication), mais en auraient au titre des articles 28.1 (offre active) et 29 (affichage).


La lecture du paragraphe 33(1) soulève donc certaines questions. L’obligation d’offrir des services dans les langues officielles est-elle imposée aux établissements de santé définis dans la Loi sur les régies régionales de la santéou est-elle uniquement imposée aux deux réseaux de santé pris dans leur ensemble? Si cette obligation est imposée aux réseaux de santé alors est-ce que cela veut dire que si un hôpital ou centre de santé n’est pas en mesure d’offrir ses services dans les deux langues cela ne contrevient pas à la Loi sur les langues officielles pourvu que le réseau soit en mesure d’offrir ce service dans un autre établissement de santé? Pour simplifier, est-ce que cela veut dire que si l’hôpital de Fredericton n’est pas en mesure d’offrir un service en français, cela ne contrevient pas nécessairement à la loi, si ce service est offert dans les deux langues à Moncton, car c’est le réseau Horizon qui a l’obligation et non l’établissement de santé? L’hôpital de Fredericton, selon cette interprétation, n’aurait l’obligation que de faire une « offre active » de services et d’afficher dans les deux langues, mais n’aurait aucune obligation d’offrir le service.


Or, malgré ce que prévoit le paragraphe 33(1), les intervenants en matière de santé et le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick ont toujours agi comme si la disposition ne changeait rien, comme si, aux fins de l’application de la Loi sur les langues officielles, ces établissements, ces installations et ces programmes étaient légalement des «institutions». Si tel est le cas, alors à quoi sert le paragraphe 33(1)?


Le paragraphe 33(2) de la Loi sur les langues officielles prévoit, pour sa part, que le ministre de la Santé, lorsqu’il établit un plan provincial de la santé en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé, veille à ce que les principes sur lesquels prend appui la prestation des services tiennent compte de la prestation des services de santé dans les deux langues officielles et qu’il considère aussi la langue de fonctionnement habituelle de l’établissement. L’objectif de cette disposition est double. Dans un premier temps, elle vise à assurer que la disponibilité des services de santé dans les deux langues officielles soit une considération dans l’élaboration d’un plan de santé provincial. Si un programme de santé prévu dans le plan de santé ne peut être offert que dans un établissement, le ministre, dans la détermination des fonctions de cet établissement, doit tenir compte de sa capacité d’offrir un programme de santé de qualité égale dans les deux langues officielles.


Le deuxième objectif vise le respect de la langue habituelle de travail dans un établissement au titre de l’article 34 de la Loi sur les langues officielles. Cet article confirme le droit des hôpitaux et des autres types d’établissements de santé, sous réserve de l’obligation de servir le public dans la langue officielle de son choix, d’employer une seule langue officielle dans leurs activités quotidiennes. À ma connaissance, seule la Régie hospitalière régionale Beauséjour, qui, à l’époque de l’adoption de l’article 34, gérait l’Hôpital Dr Georges-L.-Dumont de Moncton, l’Hôpital Stella-Maris de Sainte-Anne-de-Kent, le Centre médical régional de Shédiac et deux unités de l’Hôpital extramural, s’est prévalue de cette disposition et a désigné le français comme la langue de fonctionnement habituelle de ses établissements. Lorsqu’elle a été amalgamée à la nouvelle Régie de Santé Vitalité, cette désignation est demeurée inchangée et a été étendue aux hôpitaux de Caraquet et de Tracadie de même qu’au centre de santé de Lamèque. Il semble que les autres hôpitaux du Réseau de santé Vitalité ne soient pas touchés par cette désignation.


Lu conjointement avec le paragraphe 33(1), l’article 34 présente également certaines particularités à retenir. Nous avons vu que le paragraphe 33(1) prévoit qu’aux fins d’application des articles 27 et 28, le mot «institutions» s’entend non pas des établissements de santé, mais de leur réseau. Or, l’article 34 prévoit le contraire: un hôpital ou un établissement de santé peut, sous réserve de l’obligation de servir le public dans la langue officielle de son choix, désigner une langue habituelle de fonctionnement. Il semblerait donc, d’après cette disposition, que les hôpitaux et les établissements de santé ont des obligations au titre des articles 27 et 28 de la LLO. On le voit, la section entière de la Loi sur les langues officielles soulève des ambiguïtés et devrait être revue et précisée.


Je propose donc que :

· que le paragraphe 33(1) soit remplacé par une disposition qui prévoit qu’aux fins de la prestation des soins de santé dans la province, tous les établissements, installations et programmes de santé relevant du ministère de la Santé ou des régies régionales de la santé et qui sont établies en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé doivent s’assurer qu’en tout temps ils sont en mesure d’offrir tous leurs services au public dans les deux langues officielles.


· que les tiers, dont notamment Ambulance Nouveau-Brunswick, les services extramuraux ou toutes autres organisations offrant des services destinés au public pour le compte du ministère de la Santé ou des régies régionales de la santé établies en vertu de la Loi sur les régies régionales de la santé doivent s’assurer que ces services sont offerts, sans délai, dans les deux langues officielles.

La structure des régies régionales de la santé a fait l’objet ces dernières années de plusieurs réformes, dont certaines touchent la langue de service et de fonctionnement.


Ainsi, la Loi sur les régies régionales de la santé prévoit, à l’article 16, l’existence de deux régies régionales de la santé: la régie régionale de la Santé Vitalité et la régie régionale de la santé Horizon. Le paragraphe 19(1) dispose que la première fonctionne en français et la seconde en anglais, reconnaissant ainsi une certaine forme de dualité dans la gestion de la santé. Au paragraphe 19(2), le législateur ajoute que, malgré ce que prévoit le paragraphe 19(1), les régies régionales de la santé respectent la langue dans laquelle fonctionnent habituellement les établissements[4] qui relèvent d’elles et assurent, par l’entremise du réseau des établissements, des installations et des programmes de santé, la prestation aux membres du public des services de santé dans la langue officielle de leur choix[5].


Enfin, le paragraphe 19(3) prévoit que les deux régies régionales de la santé ont la responsabilité d’améliorer la prestation des services de santé en français. Cette disposition est unique sur le plan législatif néo-brunswickois, car elle est la seule qui s’applique uniquement à l’une des langues officielles. Elle reconnaît expressément que les services de santé en français dans le domaine de la santé sont déficients et qu’un besoin pressant d’amélioration existe afin d’atteindre l’égalité réelle.


Afin d’assurer un recours en cas de non-respect de cette disposition, je propose :


· que le paragraphe 19(3) qui prévoit que les deux régies régionales de la santé ont la responsabilité d’améliorer la prestation des services de santé en français soit incorporé à la Loi sur les langues officielles.


B. Les foyers de soins


Au Nouveau-Brunswick, les services destinés aux personnes âgées sont régis par le ministère du Développement social. Les employés du Ministère et du programme de soins de longue durée déterminent le niveau de soins que nécessitent les aînés qui présentent une demande de services. Les personnes âgées – de concert parfois avec la famille – choisissent elles-mêmes d’aller ou non dans un foyer.


Après une évaluation effectuée par des travailleurs sociaux ou des infirmières œuvrant dans le domaine des soins de longue durée, la personne âgée choisit le foyer de soins qui lui convient le mieux. Des critères fondés sur la distance et sur la langue peuvent constituer des motifs acceptables pour refuser une place qui se libère dans un foyer de soins. Or, la situation demeure problématique pour les aînés francophones qui se trouvent dans les régions où les foyers de soins francophones ou bilingues[6] sont rares ou inexistants. S’il y a peu de foyers de soins dans une région, il est plus difficile d’orienter la personne âgée vers un foyer qui lui convient parfaitement. Les listes d’attente pour les foyers francophones peuvent être plus longues, ce qui amène parfois les aînés, par crainte de perdre leur place sur la liste d’attente, à faire des choix qui ne leur conviennent pas toujours sur le plan linguistique et culturel.


Le manque de services en français dans les établissements de santé où se trouvent des aînés fait en sorte que ce sont ceux-ci qui doivent s’adapter à la langue de l’établissement, et non l’inverse. Un phénomène que les aînés anglophones de la province ne connaissent pas


Les études montrent que les effets du vieillissement dans la perspective des foyers de soins défavorisent au premier chef les communautés francophones en situation minoritaire[7]. Mais quelles sont les obligations légales du gouvernement du Nouveau-Brunswick quant à l’offre de services dans les deux langues officielles dans ces foyers de soins ?

La Loi sur les foyers de soins[8] définit un foyer de soins comme «un établissement résidentiel, à but lucratif ou non, exploité dans le but de fournir des soins de surveillance, des soins individuels ou des soins infirmiers à sept personnes et plus, non liées par le sang ou par le mariage à l’exploitant du foyer et qui, en raison de leur âge, d’une invalidité ou d’une incapacité mentale ou physique, ne peuvent prendre soin d’elles-mêmes. »


Le fonctionnement de ces établissements est étroitement régi par la Loi sur les foyers de soins. Le paragraphe 3(1) de cette loi stipule: «Nul ne peut constituer en personne morale une compagnie dont les fins, ou l’un des objets sont de mettre sur pied, d’exploiter ou d’entretenir un foyer de soins sans avoir obtenu au préalable l’approbation écrite du ministre». La Loi prévoit aussi, au paragraphe 4(4): «Le ministre peut refuser de délivrer ou de renouveler un permis en vertu du présent article s’il n’est pas convaincu qu’il est dans l’intérêt public […]» de le faire. Le ministre peut également fixer les conditions et les modalités qu’il estime appropriées lors de la délivrance du permis. L’article 24 prévoit que l’exploitant d’un foyer de soins ne peut ajouter un bâtiment ou des installations à un foyer de soins ni modifier en tout ou en partie les installations ou les bâtiments sans avoir obtenu au préalable l’approbation écrite du ministre.


La Loi sur les foyers de soins comprend également des dispositions relatives à l’aide financière que la province peut accorder à un foyer de soins. On y prévoit, entre autres, que le ministre peut, avec l’approbation du Cabinet et conformément aux règlements, accorder une aide financière «en vue de faciliter et de favoriser la mise sur pied, l’exploitation et l’entretien de foyers de soins dans la province»[9]. Elle prévoit enfin que le lieutenant-gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant les conditions dont sont assortis les permis ainsi que la gestion et l’exploitation des foyers de soins[10]. Pour sa part, le Règlement du Nouveau-Brunswick 85-187 pris en vertu de la Loi sur les foyers de soins prévoit une série de dispositions portant sur l’exploitation des foyers de soins.


(i) Les foyers de soin ont-ils des obligations linguistiques envers leurs résidents?


Aucune disposition de la Loi sur les foyers de soins n’impose d’obligations linguistiques aux exploitants de foyers de soins quant aux services qui sont offerts aux résidents. Il n’existe également à ma connaissance aucun règlement, politique ou directive du gouvernement qui permettrait de définir les obligations des foyers de soins qui se décrivent comme étant bilingues. Pourtant on a souvent entendu dans les dernières années que certains de ces établissements, dont notamment Le Faubourg du Mascaret à Moncton, sont des établissements bilingues, mais il est difficile de dire ce que cela veut dire dans le concret. Dans le cas du Faubourg du Mascaret, on nous dit que le contrat conclut entre l’entreprise gérant l’établissement et l’Université de Moncton contiendrait des dispositions concernant le caractère linguistique de l’établissement. Or, si c’est le cas, cela ne donne aucun droit aux résidents, mais seulement à l’Université de Moncton qui dans l’éventualité où la clause ne serait pas respectée devrait entreprendre une démarche judiciaire pour obtenir une réparation. Est-ce que l’Université de Moncton est prête et à les moyens d’assurer le respect de cette disposition? Permettez-moi d’en douter.


Pourquoi n’existe-t-il pas dans la loi, des dispositions donnant des droits linguistiques aux résidents de ces foyers de soins? Pourtant, en vertu de la Loi sur les foyers de soins, le gouvernement provincial, par l’entremise du ministre du Développement social, exerce une surveillance étroite sur l’exploitation et la gestion des foyers de soins. Ne pourrait-on en conclure, sous forme d’argument, que ces établissements, vu le lien organique et financier qui les lie au gouvernement provincial, bien qu’appartenant à des exploitants privés, sont des institutions du gouvernement du Nouveau-Brunswick, au même titre, par exemple, que les municipalités, et qu’ainsi des obligations linguistiques en vertu de la Charte et de la Loi sur les langues officielles s’appliquent à leurs activités?


Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de cet argument et ne suis pas prêt à conclure que ces établissements sont des institutions au sens de la Loi sur les langues officielles ou de la Charte. Or, cette conclusion ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont pas d’obligations linguistiques.


Les foyers de soins, bien qu’ils ne soient pas, au sens strict, des institutions de la province, sont des tiers qui offrent des services pour le compte de la province ou de ses institutions et, par conséquent, correspondent à la définition que l’on retrouve à l’article 30 de la Loi sur les langues officielles et sont donc tenus d’honorer les obligations que leur imposent les articles 27 à 29 de cette loi. Puisque la province, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, est responsable de «l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité», c’est elle qui est constitutionnellement responsable de ces foyers et des soins qui y sont dispensés aux aînés. Toutefois, elle a décidé, par voie législative, de confier cette tâche à des établissements privés, mais ce faisant, elle ne peut abdiquer ses responsabilités linguistiques.


À cet égard, il importe de rappeler que, le 24 mars 2011, l’Association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick (l’AFANB) avait déposé auprès du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick une plainte dans laquelle elle faisait part de ses préoccupations quant à l’absence ou à l’insuffisance de services de soins de longue durée pour les aînés francophones dans certaines régions du Nouveau-Brunswick.


Un particulier avait également déposé, en 2008, une plainte similaire. Le Commissaire aux langues officielles, Michel Carrier, avait alors conclu que les foyers de soins font partie du secteur privé et qu’ils n’étaient pas des institutions au sens de la Loi sur les langues officielles. Il avait également conclu que cette loi ne prévoyait pas que ces établissements étaient officiellement mandatés par le gouvernement provincial pour offrir des services au public et que l’article 30 de la Loi sur les langues officielles ne s’appliquait pas à ces établissements[11].


Or, à la suite de la plainte de 2011, le Commissariat a pris connaissance des conclusions d’une étude de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques concernant les capacités linguistiques des foyers de soins au Nouveau-Brunswick et d’une analyse juridique préparée pour l’AFANB. Contrairement aux conclusions auxquelles il était arrivé dans son rapport de 2008, il conclut, en 2011, «qu’il n’est plus à démontrer que le gouvernement du Nouveau-Brunswick, à travers le ministère du Développement social, joue un rôle non négligeable dans le domaine des foyers de soin [12]» [je souligne]. Il ajoute que le Ministère agit pour le moins «à titre d’observateur actif» dans ce domaine[13]. Puisque le ministère du Développement social est responsable de l’application et de l’exécution de la Loi sur les foyers de soin, il exerce donc une autorité incontestable dans l’exploitation et la gestion de ces établissements.


Le Commissaire aux langues officielles fait observer que l’intérêt et les préoccupations du gouvernement provincial pour la situation des aînés ne font aucun doute. Il note, entre autres, que le site Web du Ministère expose le mandat de la Direction des services aux foyers dans les termes suivants:


"L’Unité des services de foyers de soins s’occupe de planifier, de concevoir, de surveiller et d’inspecter les services fournis aux résidents des foyers de soins. Elle voit à la sécurité des pensionnaires en délivrant des permis aux foyers de soins et en se chargeant de leur surveillance, en assurant la liaison avec les foyers de soins et l’Association des foyers de soins du Nouveau-Brunswick sur des questions pertinentes et en offrant des conseils professionnels aux directeurs des foyers des soins, de même que des conseils en matière de programmes[14]."


Le Commissaire Carrier ajoute:


"D’après un article publié le 17 novembre 2012 dans le quotidien de Fredericton The Daily Gleaner et intitulé «Nursing Home Association Urge Solution Unique to Province», l’Association des foyers de soins du Nouveau-Brunswick est d’avis que, «en matière de soins aux aînés, il est temps de créer un modèle qui répondra aux besoins particuliers de notre province».


Nous ne sommes pas sans savoir qu’il y a de nombreuses composantes à prendre en considération, mais selon nous, le bilinguisme demeure un élément crucial du caractère unique que revêt le Nouveau-Brunswick. De ce fait, la langue devrait être un facteur incontournable dans les différents paliers de la gestion des foyers de soins de notre province[15] [je souligne]."


En juillet 2018, le Commissariat aux langues officielles publiait un autre rapport concernant la prestation de services dans les foyers de soins. Dans ce rapport, la Commissaire d’Entremont concluait que les foyers de soins sont des tiers au sens de l’article 30 de Loi sur les langues officielles.


La position du Commissariat repose sur le fait que l’activité des foyers de soins au Nouveau-Brunswick est étroitement régie par la province comme le démontrent les éléments suivants :


• la Loi sur les foyers de soins et le Règlement 85-187 régissent la mise sur pied et l’exploitation des foyers de soins;

• le ministère du Développement social doit approuver toutes les admissions dans les foyers desoins;

• la Province subventionne les résidents à faible revenu des foyers de soins;

• la Province peut, en vertu de la Loi sur les foyers de soins, accorder une aide financière en vue de faciliter et de favoriser la mise sur pied, l’exploitation et l’entretien de foyers de soins dans la province;

• le ministère du Développement social veille « à ce que les 67 foyers de soins se conforment à la Loi sur les foyers de soins et aux règlements afférents, de même qu’aux normes et politiques ministérielles. Il gère donc la taille, la structure et les activités générales des foyers de soins » (Site Web du ministère du Développement social du Nouveau-Brunswick; consulté le 14 février 2018.)


Selon la Commissaire d'Entremont, la province du Nouveau-Brunswick a l’obligation de veiller à ce que les résidents des foyers de soins puissent recevoir des services dans la langue officielle de leur choix.


En tenant compte de ces commentaires, un argument solide peut être avancé sans nul doute pour faire valoir que l’article 30[16] de la Loi sur les langues officielles s’applique aux foyers de soins du fait des liens qui les lient au gouvernement. Aussi incombe-t-il à la province, notamment au ministère du Développement social, de veiller à ce que les services offerts aux aînés par les foyers de soins le soient dans l’une et l’autre des langues officielles. Toutefois, pour les raisons ci-après exposées, je demeure d’avis que la province a une obligation positive d’agir pour clarifier la situation et assurer le respect des droits linguistiques des aînés qui vivent dans les foyers de soins.


(ii) La province est-elle tenue à une obligation positive d’agir?


Bien que les foyers de soins en tant qu’entités privées n’aient pas d’obligations linguistiques directes, cela ne veut pas dire que le gouvernement provincial n’a pas pour autant de responsabilité linguistique à leur égard. Dans son rapport, le Commissaire aux langues officielles conclut que l’absence de politique claire ou de prise de responsabilité par le gouvernement provincial en ce qui concerne cette question «alimente la problématique observée». Il insiste sur l’importance de faire de la langue une priorité dans le domaine des soins des aînés. Il ajoute que toute démarche en ce sens constituerait une mesure positive au sens de l’article 3 de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick[17]. Aussi demande-t-il au gouvernement provincial de s’engager fermement à adopter les mesures qui s’imposent pour que les aînés francophones aient un accès égal à des foyers de soins où ils recevront des services dans leur langue officielle[18]. À ce jour, le gouvernement provincial n’a commandé aucune action par suite des recommandations du Commissaire aux langues officielles.


Bien que je ne puisse pas conclure avec certitude que les foyers de soins sont tenus à des obligations linguistiques, je tire néanmoins certaines conclusions de l’analyse qui précède. En premier lieu, puisque la province a choisi d’exercer sa compétence constitutionnelle en matière de soins aux aînés par l’entremise de ces établissements privés, ceux-ci sont forcément des tiers au sens de l’article 30 de la Loi sur les langues officielles. En tant que tiers qui offrent des services pour le compte de la province, ils doivent offrir ces services de façon à respecter les obligations linguistiques qui incombent au gouvernement.


En second lieu, la province ne peut échapper aux obligations que lui imposent la Charte, la Loi sur les langues officielles et la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick pour la simple raison qu’une activité relevant de ses compétences est exercée par un tiers. Elle est obligée d’adopter des lois ou des règlements prévoyant des mesures positives afin de respecter l’égalité des langues officielles et l’égalité des communautés de langue officielle en ce qui concerne la prestation des services aux aînés. Elle doit aussi s’assurer qu’elle offre à chacun, quelle que soit sa langue officielle, un accès à des foyers de soins qui offrent des services dans leur langue. Si des modifications législatives sont nécessaires pour réaliser cet objectif, alors la province est tenue de prendre les moyens nécessaires pour les apporter.


Je propose donc les modifications suivantes à la Loi sur les langues officielles.

· que la loi prévoit que la province a l’obligation de s’assurer que des foyers de soins offrent des services dans l’une ou l’autre des langues officielles dans toutes les régions de santé de la province de façon à répondre aux besoins des deux communautés de langues officielles .


· que le gouvernement adopte les mesures nécessaires pour définir clairement les obligations linguistiques auxquelles doivent se soumettre les foyers de soins qui désirent se définir comme bilingue et que celles-ci assurent un traitement égal des deux langues officielles et que le gouvernement s'assure que l’établissement désigné bilingue est doté d’espace distinct où des activités culturelles, récréatives ou de formation puissent se dérouler dans l’une ou l’autre langue officielle.

· que lorsque cela s’avérera possible, le gouvernement favorise l’établissement de foyers de soins linguistiquement homogène.

· que lors du placement d’une personne dans un foyer de soins, il sera tenu compte de ses préférences linguistiques.


[1] Sarah Bowen, Barrières linguistiques dans l’accès aux soins de santé, Ottawa, Santé Canada, 2001 à la p 1, en ligne: <http://www.francosante.org/documents/sarah-bowen-barrieres-linguistiques.pdf>. [2] Lalonde c Ontario (Commission de restructuration des services de santé), 56 OR (3e) 577, [2001] OJ no 4767 (QL) (CA)au para 71. [3] Le mot «établissement» est ainsi défini dans la Loi sur les régies régionales de la santé, LRN‑B 2011, c 217:«édifice ou locaux dans lesquels ou à partir desquels des services de santé sont fournis». [4] On fait ici référence à l’article 34 de la LLO. [5] Le libellé ici est semblable à celui du paragraphe 33(1) de la LLO. [6] Il n’existe aucune définition de ce que l’on entend par foyers bilingues. Est-il question d’un foyer de soin qui offre tous ses services dans les deux langues officielles sur un pied d’égalité? La province n’a jamais défini cette expression, qui est pourtant couramment employée. [7] Éric Forgues et al., «La prise en compte de la langue dans les foyers de soins pour personnes âgées» (2012) Institut canadien de recherches sur les minorités linguistiques, Moncton à la p 19 [Forgues et al.]. [8] LRN-B 2014, c 125. [9] Ibid, art 22(2). [10] Ibid, art 31. [11] Rapport du Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick (novembre 2012), Dossier no 2011 – 1389 à la p 6 [Rapport CLO]. [12] Ibid à la p 14. [13] Ibid à la p 15. [14] «Services des foyers de soins (Unité)», en ligne: Ministère du Développement social <http://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/ministeres/developpement_social/contacts/dept_renderer.140.6464.1871.html#mandat>. [15] Rapport CLO, supra à la p 16 [16] L’article 30 de la LLO prévoit : « Si elle fait appel à un tiers afin qu’il fournisse des services pour son compte, la province ou une institution, le cas échéant, est chargée de veiller à ce qu’il honore les obligations que lui imposent les articles 27 à 29. » [17] LRN-B 2011, c 198./ [18] Rapport CLO, supra à la p 14.

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