doudroit
PARTIE X : - RÉVISION DE LA LLO : LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES (PROPOSITIONS DE MODIFICATION)
Dernière mise à jour : 29 juin 2021

Le paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867[1] accorde aux provinces la compétence sur la propriété et les droits civils. La délivrance de permis autorisant la pratique d’une profession et sa réglementation relèvent de cette compétence provinciale[2]. Les provinces ont donc le pouvoir de réglementer les associations professionnelles. Toutefois, au lieu d’exercer ce pouvoir, elles ont préféré déléguer cette responsabilité à ces organismes.
A – La nature de l’association professionnelle
Le paragraphe 41.1(1) de la Loi sur les langues officielles définit une association professionnelle comme suit « s’entend d’une organisation de personnes qui, par loi provinciale, est habilitée à admettre, à suspendre ou à expulser des personnes relativement à l’exercice d’une profession ou à leur imposer des exigences à l’égard de cet exercice ».
L’association professionnelle est donc un organisme créé par une loi provinciale auquel la province a délégué le pouvoir d’encadrer l’accès et l’exercice d’une profession. Cet organisme est composé des membres de la profession qui ont la responsabilité de la diriger. En règle générale, l’association professionnelle établit ses propres règlements, voit à son financement et à la discipline de ses membres. En plus du privilège accordé aux membres de l’association d’être seuls à avoir droit de porter un titre et à avoir l’exclusivité sur certains actes, la constitution en « association professionnelle » comporte également, pour le groupe, des responsabilités, des prérogatives et des contraintes importantes destinées à la protection du public.
Au lieu de légiférer lui-même sur des questions qui peuvent lui paraître complexes, délicates et techniques ou qui évoluent trop rapidement pour être figées dans des textes législatifs définitifs ou qui font l’objet de discussions parlementaires, le gouvernement préfère, parfois, déléguer son pouvoir constitutionnel à un organisme administratif. C’est précisément le cas avec les associations professionnelles, d’autant plus que le législateur est souvent réticent à empiéter sur le principe de l’autonomie ou de l’indépendance des professions. L’État confie donc à ces organismes des pouvoirs qu’il serait normalement en droit d’exercer.
Les associations professionnelles ont donc le droit de réglementer leurs affaires internes, les modalités des élections et les pouvoirs des dirigeants. En plus de ces pouvoirs, le législateur peut également leur déléguer expressément ou implicitement le pouvoir de réglementer d’autres aspects d’une profession, tels que :
- le contenu de la formation et du stage préalable à l’admission;
- les conditions d’admission à l’exercice de la profession;
- l’examen d’admission à l’exercice de la profession;
- les conditions mêmes de l’exercice de la profession;
- les tarifs d’honoraires;
- l’éthique professionnelle et les actes dérogatoires;
- la création d’organes disciplinaires et la procédure disciplinaire;
- les peines disciplinaires.
Les juristes anglophones décrivent avec beaucoup de justesse ces associations comme des « self-governments »[3]. Dans un certain sens, en tant qu’organismes exerçant d’importants pouvoirs de réglementation, de contrôle, d’administration et de discipline, les associations professionnelles peuvent être considérées comme des pouvoirs publics.
Sans prétendre avoir entrepris une analyse exhaustive des lois constituantes de chacune, il existerait au moins 43 organismes au Nouveau-Brunswick qui peuvent être définis comme des associations professionnelles[4]. Cette liste comprend :
- Association d’économie domestique du Nouveau-Brunswick (AÉDNB)[5];
- Association de cosmétologie du Nouveau-Brunswick (ACNB)[6];
- Association de massothérapie du Nouveau-Brunswick (AMNB)[7];
- Association de podiatrie du Nouveau-Brunswick (APNB)[8];
- Association des agents immobiliers du Nouveau-Brunswick (AINB)[9];
- Association des architectes du Nouveau-Brunswick (AANB)[10];
- Association des Arpenteurs-Géomètres du Nouveau-Brunswick (AAGNB)[11];
- Association des assistant(e)s dentaires du Nouveau-Brunswick (AADNB)[12];
- Association des barbiers immatriculés du Nouveau-Brunswick ABINB)[13];
- Association des chiropraticiens de Nouveau-Brunswick (ACNB)[14];
- Association des designers d’intérieur immatriculés du Nouveau-Brunswick (ARIDNB)[15];
- Association des diététistes du Nouveau-Brunswick (ADNB)[16];
- Association des directeurs funéraires et embaumeurs du Nouveau-Brunswick (ADFENB)[17];
- Association des ergothérapeutes du Nouveau-Brunswick (AENB)[18];
- Association des évaluateurs immobiliers du Nouveau-Brunswick[19];
- Association des forestiers agréés du Nouveau-Brunswick (ARPFNB)[20];
- Association des Infirmier(ère)s Auxiliaires Autorisé(e)s du Nouveau-Brunswick (AIAANB)[21];
- Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick (AIINB)[22];
- Association des ingénieurs et des géoscientifiques du Nouveau-Brunswick (AIGNB)[23];
- Association des médecins vétérinaires du Nouveau-Brunswick[24];
- Association des officiels de la construction du Nouveau-Brunswick[25];
- Association des opticiens du Nouveau-Brunswick[26];
- Association des optométristes du Nouveau-Brunswick (AONB)[27];
- Association des orthophonistes et des audiologistes du Nouveau-Brunswick (AOANB)[28];
- Association des paramédics du Nouveau-Brunswick (PANB)[29];
- Association des technologistes de laboratoire médical du Nouveau-Brunswick[30];
- Association des technologues en radiation médicale du Nouveau-Brunswick (ATRMNB)[31];
- Association des thérapeutes respiratoires du Nouveau-Brunswick Inc. (ATRNB)[32];
- Association des travailleurs sociaux du Nouveau-Brunswick (ATSNB)[33];
- Barreau du Nouveau-Brunswick (BNB)[34];
- Collège des médecins et chirurgiens du Nouveau-Brunswick (CMCNB)[35];
- Collège des Physiothérapeutes du Nouveau-Brunswick (CPNB)[36];
- Collège des psychologues du Nouveau-Brunswick (CPNB)[37];
- Comptables Professionnels Agréés du Nouveau-Brunswick (CPANB) [38];
- Corporation des traducteurs. Traductrices, terminologues et interprètes du Nouveau-Brunswick (CTINB)[39];
- Institut des agronomes du Nouveau-Brunswick (IANB)[40];
- Institut des urbanistes de l’Atlantique (IUA)[41];
- Ordre des hygiénistes dentaires du Nouveau-Brunswick (OHDNB)[42];
- Ordre des pharmaciens du Nouveau-Brunswick (OPNB)[43];
- Société dentaire du Nouveau-Brunswick (SDNB)[44];
- Société des denturologistes du Nouveau-Brunswick[45];
- Société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick (STTAGNB)[46];
- Société des technologues en cardiologie du Nouveau-Brunswick (STCNB)[47].
En créant ces différentes associations, le législateur néo-brunswickois avait non seulement pour but de protéger les membres de celles-ci, mais également le public qui entre en relation avec le professionnel. Le législateur justifie l’autonomie qu’il accorde à ces associations en tenant pour acquis que seuls les professionnels concernés possèdent les connaissances nécessaires pour mener à bien les objets de la profession. L’autonomie ainsi accordée équivaut essentiellement au pouvoir de décider qui aura le droit d’exercer une profession. Toutefois, les membres d’une association professionnelle ne sont pas les seuls qui peuvent être affectés par les services rendus par un professionnel. D’autres personnes peuvent l’être également comme, par exemple, les travailleurs œuvrant dans des domaines connexes, les membres d’une profession dont le champ d’activités est étroitement lié à cette profession, les aspirants à la profession, les maisons d’éducation et les éducateurs et le public qui reçoivent les services de ces professionnels.
Les associations professionnelles ont donc été établies, d’abord et avant tout, pour des raisons d’intérêt public. Il y a quelques années, la Commission royale d’enquête sur les droits civils dans la province de l’Ontario – la Commission McRuer – y voyait la seule raison légitimant une délégation de pouvoirs aussi vaste à ces organismes.
L’octroi de l’autonomie gouvernementale est une délégation de fonctions législatives et judiciaires et ne peut se justifier qu’à des fins de préservation de l’intérêt public. Le pouvoir n’est pas accordé afin d’octroyer ou de renforcer un statut professionnel. La question qu’il faut poser n’est pas celle-ci: «Est-ce que les praticiens de cette profession en particulier souhaitent obtenir le pouvoir de l’autonomie?», mais celle-là: «Est-ce que l’autonomie gouvernementale s’avère nécessaire pour protéger le public?» Personne ne devrait revendiquer le droit à l’autonomie gouvernementale pour la simple raison que le mot «profession» a été joint à l’activité professionnelle. Le pouvoir de l’autonomie gouvernementale ne devrait pas être exorbitant des limites actuelles, sauf s’il est clairement établi que l’intérêt public le commande [notre traduction et nous soulignons][48].
Au Nouveau-Brunswick, les associations professionnelles sont créées par un texte législatif communément appelé « loi d’intérêt privé ». La procédure à suivre relativement à l’adoption des projets de « loi d’intérêt privé » diffère de celle relative aux projets de « loi d’intérêt public ». Un projet de « loi d’intérêt public » est simplement rédigé et déposé, mais avant qu’un projet de « loi d’intérêt privé » puisse être déposé à l’Assemblée législative, plusieurs étapes doivent être suivies. Un projet de « loi d’intérêt privé » porte sur des questions locales ou d’intérêt privé ou est en faveur ou dans l’intérêt particulier d’une personne ou d’un groupe de personnes, d’une corporation ou d’une municipalité. Par conséquent, avant qu’une faveur d’une telle nature ne soit accordée, l’Assemblée législative doit s’assurer que les mesures législatives en question ne porteront aucun préjudice à d’autres droits ou à d’autres intérêts[49]. Un premier constat s’impose donc : la province du Nouveau-Brunswick, en autorisant la création de ces associations, a l’obligation de s’assurer qu’elles respectent ses obligations linguistiques constitutionnelles et législatives.
B – Le rôle de l’association professionnelle
Le projet de « loi d’intérêt privé » a donc, comme son nom l’indique, pour objet de veiller aux intérêts ou aux avantages particuliers d’un individu ou d’un certain nombre d’individus contrairement au projet de « loi d’intérêt public » qui, lui, porte sur une matière ou qui contient des mesures qui touchent l’ensemble de la société. En règle générale, une loi constituant une association professionnelle est à l’avantage de ses membres. Toutefois, si ces lois confèrent un pouvoir de gestion concernant l’administration interne des associations professionnelles, elles ont également pour effet de réglementer les rapports qu’elles ont avec la société.
Le législateur doit donc s’assurer, en créant ces associations, de retenir un certain contrôle sur leurs activités. Ce contrôle peut s’exercer de différentes manières :
- le lieutenant-gouverneur en conseil ou un ministre peut, par exemple, nommer un ou plusieurs membres du conseil d’administration chargé des affaires de l’association;
- il peut être prévu que les règlements adoptés par l’association seront approuvés par le lieutenant-gouverneur en conseil;
- le lieutenant-gouverneur en conseil peut se réserver la faculté de révoquer ou d’abroger la réglementation adoptée par l’association;
- la loi peut contenir des dispositions détaillées relatives aux conditions d’admission des membres, auxquelles l’association peut ajouter des conditions spécifiques;
- le législateur peut prévoir la nécessité de publier dans la Gazette royale les règlements adoptés par l’association.
Je n’ai pas l’intention d’analyser de façon détaillée tous les pouvoirs que le législateur a accordés à chacune des associations professionnelles de la province. Je peux, cependant, affirmer que le pouvoir de réglementation attribué habituellement à ces associations s’articule généralement autour de l’administration interne, des conditions d’admission à la profession et de la réglementation de la profession elle-même. L’association professionnelle a le pouvoir de délivrer des permis pour l’exercice d’une profession, d’établir des normes académiques et de compétence, de fixer la procédure d’admission, d’exercer la discipline et d’adopter les principes d’éthique professionnelle. Elle peut également établir les règles concernant les assemblées de ses membres, les modalités d’élection de ses dirigeants, la création de comités internes, le montant de la cotisation des membres, etc. Le conseil d’administration de l’association, quant à lui, est généralement investi du pouvoir de réglementation. Le règlement, une fois finalisé, doit par la suite être approuvé par les membres réunis en assemblée générale.
Les associations professionnelles jouissent donc d’un monopole à l’égard de l’exercice d’une profession. Elles ont la responsabilité de vérifier que les personnes qu’elles autorisent à l’exercer sont qualifiées et répondent aux normes de compétence exigées pour la pratique de cette profession. Ces pouvoirs ne sont pas délégués à l’association pour lui permettre de protéger les intérêts économiques de ses membres, mais plutôt dans le but d’assurer qu’ils possèdent les habiletés et les compétences nécessaires pour exercer une profession.
Les associations professionnelles ont l’obligation de maintenir des critères de compétence pour leurs membres. Or, le contrôle de l’admission à une profession ne constitue pas le seul moyen pour y arriver. En fait, les associations professionnelles se réglementent elles-mêmes de façon continue. Le législateur considère qu’elles sont en meilleures positions pour juger des cas de violation de l’éthique professionnelle et, par conséquent, il leur a délégué un important pouvoir de réglementation de la discipline professionnelle. À cet effet, la Commission McRuer a identifié trois groupes distincts qui ont un intérêt particulier dans le contrôle d’une profession :
(1) Le public qui doit être le premier bénéficiaire de l’ensemble du processus;
(2) Les membres de l’association dont les manquements peuvent faire l’objet de mesures disciplinaires; et
(3) La profession elle-même, qui a un intérêt général à maintenir des normes élevées de compétence professionnelle.[50]
L’un des pouvoirs les plus importants qu’une association exerce vis-à-vis ses membres est celui d’imposer une mesure disciplinaire dans le cas d’un manquement aux normes professionnelles. En règle générale, la loi constitutive d’une association ne détermine pas précisément la procédure qui sera applicable devant le tribunal disciplinaire; cette question étant laissée bien souvent à la discrétion de l’association. Toutefois, personne ne contestera le fait que les peines disciplinaires imposées par une association peuvent être lourdes de conséquences. Cette peine peut aller de la simple réprimande, à la suspension et, dans les cas les plus graves, à l’expulsion du membre de la profession. En exerçant son pouvoir disciplinaire, l’association professionnelle agit donc de façon quasi-judiciaire. Le droit lui impose, dès lors, l’obligation de respecter certains principes fondamentaux de justice naturelle.
II – LES OBLIGATIONS LINGUISTIQUES DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES
Comme nous venons de le voir, les associations professionnelles contrôlent l’admission à une profession et les conditions de son exercice. En ce sens, elles exercent une partie des pouvoirs de l’État et nous pouvons donc les considérer comme faisant partie de l’administration publique provinciale. En plus de leurs membres, elles sont d’ailleurs appelées à traiter avec le public. En ce faisant, les associations doivent tenir compte des droits linguistiques conférés au public et aux obligations que ceux-ci leur imposent. Les obligations linguistiques de ces associations tirent leur origine de la Charte canadienne des droits et libertés[51] et de la Loi sur les langues officielles[52].
A – La Charte canadienne des droits et libertés
La première question qui se pose est celle de savoir si les associations professionnelles sont des institutions au sens de la Charte canadienne des droits et libertés[53]. Je tiens immédiatement à écarter l’argument qui voudrait que ces associations ne soient pas soumises aux obligations linguistiques de la Charte parce qu’elles ont été créées par une loi d’intérêt privé. Dans l’affaire R. c. Losier[54], le juge McIntyre de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, a conclu que le paragraphe 18(2) de la Charte ne s’appliquait pas à la New Brunswick Chiropractors Act[55] parce que ce texte était issu d’une initiative privée, et, par conséquent, ne relevait pas de l’article 32 de la Charte. Pour les raisons suivantes, je ne peux souscrire à cette conclusion qui, à mon avis, est mal fondée en droit.
En vertu du paragraphe 32(1), la Charte s’applique « au Parlement et au gouvernement du Canada » et « à la législature et au gouvernement de chaque province ». Les deux paliers de gouvernement sont donc liés par les dispositions de la Charte. De plus, tout organisme qui exerce un pouvoir légal est également lié par la Charte. Dans cette catégorie, nous pouvons inclure le gouverneur-général ou le lieutenant-gouverneur en conseil, les ministres, les fonctionnaires, les municipalités, les tribunaux et les agents de police. Or, la Charte s’applique également à d’autres organismes que ceux que nous venons d’énumérer.
Afin de pouvoir identifier à quels autres organismes la Charte s’applique, il convient, dans un premier temps, de faire une distinction entre les sociétés privées, qui sont constituées en vertu d’une loi et dont l’existence et les pouvoirs dépendent d’une loi habilitante, et les organismes créés en vertu d’une loi qui leur confère, outre leur existence, un pouvoir de coercition propre à l’action gouvernementale. Les deux sont des personnes morales possédant les droits d’une personne physique, mais seul le deuxième type d’organisme est soumis aux dispositions de la Charte.
À titre d’exemple, dans les arrêts McKinney c. Université de Guelph[56] et Stoffman c. Vancouver General Hospital[57], la Cour suprême du Canada a conclu que les politiques de mise à la retraite obligatoire en vigueur dans une université et dans un hôpital ne pouvaient pas être contestées en vertu de la Charte. Même si l’université et l’hôpital étaient tous deux créés et investis de certains pouvoirs par une loi, ni l’un ni l’autre de ces deux établissements ne possédait des pouvoirs dépassant ceux d’une personne physique.
Or, dans la décision Eldridge c. Colombie-Britannique[58], la Cour suprême du Canada a statué qu’une entité qui « met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé »[59] est liée par la Charte. En effet, si l’activité exercée par une entité non gouvernementale est de nature gouvernementale, cette activité sera soumise aux obligations de la Charte bien que pour d’autres activités, l’entité ne soit pas liée par la Charte.
Il est également important de rappeler que le paragraphe 32(1) de la Charte ne s’applique pas seulement qu’au Parlement, aux législatures et au gouvernement, mais aussi à tous les domaines qui relèvent de ces institutions. Dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville), le juge La Forest a expliqué la raison d’être de la grande portée de l’article 32 comme suit :
Si la Charte devait en effet ne s’appliquer qu’aux organismes faisant institutionnellement partie du gouvernement et non à ceux qui sont de nature gouvernementale (ou qui accomplissent des actes gouvernementaux) dans les faits, le gouvernement fédéral et les provinces pourraient facilement se soustraire aux obligations que la Charte leur impose en octroyant certains de leurs pouvoirs à d’autres entités et en leur faisant exécuter des fonctions ou appliquer des politiques qui sont, en réalité, gouvernementales. Autrement dit, le Parlement, les législatures provinciales et la branche exécutive des gouvernements fédéral ou provinciaux n’auraient qu’à créer des organismes distincts d’eux et à leur conférer le pouvoir d’exécuter des fonctions gouvernementales pour échapper aux contraintes que la Charte impose à leurs activités. De toute évidence, cette façon de faire réduirait indirectement la portée de la protection prévue par la Charte d’une manière que le législateur pourrait difficilement avoir voulue et entraînerait des conséquences pour le moins indésirables. En effet, compte tenu de leur importance fondamentale, les droits garantis par la Charte doivent être protégés contre toute tentative visant à en réduire indûment la portée ou à échapper complètement aux obligations qui en découlent [nous soulignons][60].
Il ressort donc de la jurisprudence que la Charte s’applique à une entité pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :
1. L’entité fait partie du « gouvernement » au sens de l’article 32, soit de par sa nature même, soit en raison du degré de contrôle exercé par le gouvernement. En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte.
2. Une activité particulière d’une entité peut être sujette à la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d’examiner non pas la nature de l’entité dont l’activité est contestée, mais plutôt la nature de l’activité elle-même.[61]
Ce sont ces critères que nous devons employer pour déterminer si la Charte s’applique aux associations professionnelles. À cet égard, nous constatons que dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[62], la Cour suprême du Canada, en s’appuyant sur le paragraphe 15(1) de la Charte, a annulé une condition d’admission au barreau prise par la Law Society of British Columbia. Il n’a aucunement été question dans cet arrêt de l’article 32 de la Charte. La Cour semble avoir conclu, de facto, que le Barreau est une entité du gouvernement au sens du paragraphe 32(1).
Dans la décision Klein and Dvorak c. Law Society of Upper Canada[63], la Cour Divisionnaire de l’Ontario a conclu que la Société du Barreau du Haut-Canada était une entité créée par la loi qui exerce ses attributions dans l’intérêt public. Selon la cour, en adoptant des règles relatives à la publicité des avocats ou aux relations entre ces derniers et les médias, la Société du Barreau exerce une fonction de réglementation pour le compte de la « législature » et du « gouvernement » au sens du paragraphe 32(1) de la Charte. Selon la Cour, même si les règles et les observations contenues dans le code de déontologie n’ont pas été adoptées par règlement, cela ne les empêche pas pour autant d’être assujetties aux dispositions de la Charte. De fait, la Société du Barreau veille, par le biais de sa procédure disciplinaire, au respect des dispositions qui interdisent aux avocats de faire de la publicité relativement à leurs honoraires et de faire des déclarations aux médias, ce qui a pour effet d’intégrer ces dispositions au droit de l’Ontario et de les assujettir ainsi à la Charte.
La même logique s’applique dans le cas des autres associations professionnelles. Dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont conférés par leurs lois constituantes, ces entités exercent une fonction de réglementation pour le compte de la « législature » et du « gouvernement » au sens du paragraphe 32(1) de la Charte. Au moyen de leur procédure disciplinaire, elles veillent au respect des dispositions prévues dans leurs lois constituantes, qui leur donnent un pouvoir de coercition propre à l’action gouvernementale. Les activités des associations professionnelles ne peuvent être assimilées à celles d’une entité privée, comme une association sportive provinciale. Ainsi, dans l’arrêt Blainey c. Ontario Hockey Association et al[64], la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le seul fait que l’association en cause recevait des subventions en vertu d’une loi provinciale n’était pas suffisant pour faire de ses activités des actes du gouvernement aux fins de la Charte. Selon la Cour d’appel, il n’y a, dans la relation entre l’association sportive et la province, aucune délégation de pouvoir de l’Assemblée législative ni aucune attribution de pouvoirs par le gouvernement. Dans un tel cas, l’association n’exerce donc aucune fonction gouvernementale. Or, cela n’est pas le cas pour les associations professionnelles à qui le gouvernement et l’Assemblée législative ont délégué un certain nombre de pouvoirs, qui, autrement, seraient exercés par le gouvernement ou l’Assemblée législative.
Par conséquent, en vertu de l’analyse qui précède, je conclus que les associations professionnelles sont des entités qui exercent des fonctions gouvernementales au sens du paragraphe 32(1) de la Charte. Toute autre conclusion serait illogique, car elle permettrait au gouvernement provincial et à l’Assemblée législative de se décharger, par exemple, de leurs obligations linguistiques en octroyant à ces associations certains pouvoirs qui normalement devraient être exercés par l’État.
Bien que cela puisse paraître étrange en raison de l’analyse effectuée en vertu du paragraphe 32(1), en ce qui concerne les droits linguistiques prévus dans la Charte, on doit s’adonner de nouveau à une analyse pour savoir si l’organisme en question est une institution au sens des articles 16 et 20. Par conséquent, en matière de droits linguistiques, deux analyses doivent être effectuées pour qualifier un organisme d’institution et ainsi l’assujettir aux obligations linguistiques contenues dans la Charte.
Ainsi, dans l’arrêt Charlebois c. Mowatt[65], la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, en plus de son analyseportant sur le paragraphe 32(1), s’est penchée sur le sens qu’il faut donner à l’expression « institutions de la législature ou du gouvernement » employée aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte. Dans Charlebois, les municipalités de la province ont été identifiées comme étant des « institutions » au sens de ces dispositions. La Cour d’appel a fait remarquer que les municipalités sont créées par une loi de la province et qu’elles exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par cette loi.
La Cour a fait, par la suite, référence à l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville)[66], où la question en litige portait sur une résolution adoptée par la ville de Longueuil. La ville de Longueuil s’était opposée à ce que cette résolution soit soumise à un examen fondé sur la Charte au motif que la Charte ne s’appliquait pas à elle. Le juge La Forest a conclu que la Charte s’appliquait aux activités de cette municipalité. Après avoir passé en revue la jurisprudence antérieure pertinente au champ d’application de la Charte de la Cour suprême du Canada, le juge La Forest a réaffirmé plusieurs principes importants relatifs à l’applicabilité de la Charte à des entités autres que les législatures ou les gouvernements. En particulier, comme nous l’avons déjà indiqué, il a souligné parmi les considérations déterminantes de ces entités leur « nature gouvernementale », soit en raison du degré de contrôle gouvernemental dont elles font l’objet, soit en raison des fonctions qu’elles exécutent ou des actes qu’elles accomplissent.
Or, pour satisfaire aux critères identifiés par le juge La Forest, il faut que ces actes puissent être qualifiés de « gouvernementaux » et non simplement de « publics ». En ce qui concerne les municipalités, le juge La Forest s’est fondé principalement sur quatre facteurs pour conclure que les municipalités ne peuvent pas se soustraire à l’application de la Charte. Le troisième facteur est particulièrement pertinent pour nos fins :
Un troisième et important facteur est que les municipalités ont le pouvoir d’établir des règles de droit, de les appliquer et de les faire respecter dans les limites d’un territoire déterminé.[67]
Finalement, il a précisé que les municipalités sont des créatures des provinces dont elles tirent leur pouvoir de légiférer, c’est-à-dire qu’elles exercent des pouvoirs et des fonctions confiés par les législatures provinciales dont ces dernières devraient autrement se charger. Comme la Charte s’applique incontestablement aux législatures et aux gouvernements provinciaux, elle ne peut que s’appliquer aux entités que ces provinces investissent de pouvoirs gouvernementaux relevant de leur compétence, sinon les provinces pourraient tout simplement éviter l’application de la Charte en attribuant certains pouvoirs aux municipalités.[68]
Dans l’arrêt Charlebois, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a conclu que les municipalités du Nouveau-Brunswick sont assujetties à la Charte et qu’en conséquence, les actes de la ville de Moncton peuvent faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte. Bref, les municipalités au Nouveau-Brunswick sont des créatures de la province, elles exercent des pouvoirs gouvernementaux qui leur sont conférés par la législature ou le gouvernement, et elles tirent tous leurs pouvoirs de la loi. Elles doivent aussi agir dans les limites de leur loi constituante et leurs fonctions sont clairement gouvernementales. La Cour en tire donc la conclusion qu’elles sont des « institutions » au sens des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte. En dernier lieu, la Cour a tenu à souligner la justesse du raisonnement évoqué dans l’arrêt Godboutvoulant que les gouvernements puissent facilement se soustraire aux obligations linguistiques que la Charte leur impose si elles ne pouvaient s’appliquer à d’autres entités gouvernementales.
Le même argument peut-il être employé pour conclure que les associations professionnelles sont des « institutions du gouvernement et de l’Assemblée législative » au sens des paragraphes 16(2) et 20(20 de la Charte ? Nous avons vu que ces associations sont créées par des lois adoptées par l’Assemblée législative et qu’elles exercent des pouvoirs qui leur sont conférés par ces lois. Toutefois, il est également légitime de se demander si ces associations sont des entités de nature gouvernementale en raison du degré de contrôle gouvernemental dont elles font l’objet, soit en raison des fonctions qu’elles exécutent ou des actes qu’elles accomplissent. Rappelons que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Godbout a conclu que ces actes doivent pouvoir être qualifiés de « gouvernementaux » et non pas simplement de « publics ». Nous pouvons constater que dans certains cas les associations professionnelles ont le pouvoir d’établir des règles de droit, de les appliquer et de les faire respecter. Ainsi, dans l’exercice de ces actions, elles sont des institutions au sens des dispositions pertinentes de la Charte puisque leurs actions peuvent être qualifiées de « gouvernementales ».
Il est aussi vrai que ces associations ont été créées par des lois d’intérêt privé et que ces lois se rapportent généralement à des questions locales ou d’intérêt privé ou sont en faveur ou dans l’intérêt particulier d’une personne, d’un groupe de personne ou d’une municipalité. Or, ces lois, dans le contexte néo-brunswickois, réglementent également les rapports entre les associations professionnelles et la société en générale, imposant ainsi à ces associations l’obligation de protéger l’intérêt public. Il faut donc distinguer les actions de ces associations : soit elles sont de nature privée, soit elles sont de nature publique. Pour ce faire, il importe, à mon avis, de se poser chaque fois les questions suivantes :
- L’action met-elle en cause l’intérêt général ?
- L’action modifie-t-elle une loi d’intérêt public ou fait-elle échec à l’application de certaines règles générales de droit ?
- L’action affecte-t-elle une multiplicité d’intérêt ?
Nous constaterons qu’en appliquant ces critères, seules quelques actions de régie interne des associations professionnelles pourraient être considérées de nature privée et ainsi être à l’abri des obligations linguistiques énoncées dans la Charte. En effet, le législateur, en permettant l’établissement de ces associations professionnelles, leur donne un monopole en ce qui concerne l’administration des services professionnels, l’admission à une profession et les services qui peuvent être dispensés à la population. Or, l’octroi de ce monopole et de cette autonomie ne peut se justifier que pour des raisons d’intérêt public. Elles ne sont pas accordées afin de renforcer ou consolider le statut des professions, mais plutôt pour assurer la protection de l’intérêt public. Le simple fait que des individus exercent une profession ne leur donne pas le droit de réclamer ce monopole. Seule la protection de l’intérêt public doit en justifier l’octroi.
En raison des pouvoirs qui lui ont été conférés par le législateur provincial, l’association professionnelle a le droit de réglementer les affaires internes, les modalités d’élections de ses dirigeants, les pouvoirs de ceux-ci et toutes autres questions administratives de régie interne. Ces pouvoirs peuvent être considérés de nature privée et peuvent, à la limite, être considérés comme n’étant pas couverts par les dispositions de la Charte. Or, en plus de ce pouvoir de réglementation de la régie interne, le législateur a aussi délégué expressément ou implicitement aux associations professionnelles le pouvoir de réglementer plusieurs aspects d’une profession. En tant qu’organismes exerçant d’importants pouvoirs de réglementation, de contrôle, d’administration et de discipline, les associations professionnelles peuvent être considérées comme des pouvoirs publics et comme formant une partie essentielle des structures de l’État. Ils font partie des mécanismes administratifs de l’État et représentent beaucoup plus qu’une simple association d’individus exerçant une même profession.
Par conséquent, en raison des règles d’interprétation larges et libérales qu’il faut appliquer en matière linguistique[69], la nature et le rôle des associations professionnelles font en sorte qu’elles sont étroitement liées au pouvoir public. Elles font partie de la structure étatique et sont des institutions du gouvernement et de l’Assemblée législative au sens de la Charte.
Les associations professionnelles sont donc soumises aux obligations des articles 16 à 20 de la Charte. En conséquence, nous pouvons affirmer que les langues française et anglaise sont les langues officielles des associations professionnelles et que ces langues ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage au sein de ces organismes (par. 16(2)). Les lois constituantes et les règlements administratifs de ces associations professionnelles doivent être adoptés dans les deux langues officielles (par. 18(2)). Les comités disciplinaires des associations professionnelles doivent respecter le droit de chacun d’employer la langue officielle de son choix dans les procédures disciplinaires (par. 19(2)). Elles sont également tenues de communiquer et d’offrir des services au public et à leurs membres dans la langue officielle de leur choix (par. 20(2)).
B – La Loi sur les langues officielles
La première loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick[70] ne contenait aucune disposition à l’égard des associations professionnelles. La Loi sur les langues officielles de 2002 ne faisait également pas mention des associations professionnelles, si ce n’est de leurs activités de nature judiciaire. En effet, la loi définit l’expression « tribunal » comme désignant les cours judiciaires et les tribunaux administratifs dans la province. Les comités disciplinaires des associations sont évidemment des « tribunaux » au sens de cette loi. Étant donné la nature de leurs actions et l’effet coercitif de leurs décisions, ils sont tenus d’appliquer, dans leur procédure, les principes d’équité procédurale et de justice naturelle. À ce titre, ce sont des « tribunaux administratifs » et donc des « tribunaux » au sens de la Loi sur les langues officielles. Ils sont donc tenus, à cet égard, de respecter les dispositions qui sont prévues aux articles 16 à 24 de la Loi sur les langues officielles.
Ainsi, le français et l’anglais sont les langues officielles de ces « tribunaux » disciplinaires et chacun a le droit d’employer la langue officielle de son choix dans toutes les affaires dont ils sont saisis, y compris, pour les plaidoiries et dans les actes de procédure qui en découlent[71]. Il incombe également à ces tribunaux de comprendre, sans l’aide d’un interprète ou de technique quelconque de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive, la langue officielle choisie par une partie[72]. Les témoins qui comparaissent devant ces tribunaux ont également le droit d’être entendus dans la langue officielle de leur choix et, sur demande d’une partie ou du témoin, les tribunaux doivent voir à ce que les services de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive soient offerts[73]. Il convient de noter que l’article 21 donne uniquement le droit de demander les services de la traduction ou de l’interprétation aux parties et au témoin et non aux avocats ou aux membres du tribunal. L’article 24 prévoit, pour sa part, que les décisions ou les ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris, sont publiés dans les deux langues officielles si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ou lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles.
Lors de la modification de la Loi sur les langues officielles en 2013, le législateur a adopté l’article 41.1 qui traite des associations professionnelles. Le paragraphe 41.1(1) définit comme suit les associations professionnelles : « s’entend d’une organisation de personnes qui, par loi provinciale, est habilitée à admettre, à suspendre ou à expulser des personnes relativement à l’exercice d’une profession ou à leur imposer des exigences à l’égard de cet exercice ». Le paragraphe 41.1(2) prévoyait que les associations professionnelles fournissent à « leurs membres » dans les deux langues officielles les services réglementaires. Je constate, tout d’abord, deux lacunes dans ces dispositions : premièrement, il prétend ne s’appliquer qu’aux « membres » des associations professionnelles et non au « public » et, deuxièmement, il fait référence à des « services réglementaires » qui n’ont jamais été définis.
En ce qui concerne la première lacune, je ne reprendrai pas ici l’argumentaire que j’ai déjà développé dans les sections précédentes de ce texte. Qu’il suffise de dire que toute tentative de limiter la portée des obligations linguistiques qu’ont les associations professionnelles pour qu’elles ne visent que leurs membres est à la fois futile et contraire à leurs obligations linguistiques constitutionnelles. La province ne peut légitimement justifier une telle limite au droit du public de recevoir les services de ces associations dans la langue officielle de leur choix. En agissant ainsi, la province contrevient à son obligation de favoriser l’épanouissement et le développement de la communauté de langue minoritaire, un principe qui est à la base des droits linguistiques qu’elle a reconnus à cette communauté. Il était donc impératif d’apporte une modification afin que le paragraphe 41.1(2) fasse également référence au « public » et non seulement aux membres.
L’article 41.1 de la Loi sur les langues officielles de 2013 devait entrer en vigueur en juin 2015 à la suite de l’adoption de règlements qui verraient à son application. Cependant, ces règlements n’ont jamais été élaborés et, à la veille de l’échéance de juin 2015, il était clair qu’ils ne le seraient jamais. La province était également, à ce moment, impliquée dans une poursuite intentée par une citoyenne qui invoquait la violation de ses droits linguistiques puisqu’une association professionnelle, en l’espèce le Collège des psychologues de la province, n’avait pas été en mesure de lui offrir un accès de qualité égale en français aux examens d’admissions à la profession. Avec Michel Bastarache, je représentais cette citoyenne. Après de longues négociations avec les représentants de cette association et avec ceux du gouvernement, il a été convenu, entre autres, que l’article 41.1 de la Loi sur les langues officielles de 2013 devait être modifié et remplacé par une nouvelle disposition.
Le 5 juin 2015, le projet de loi 49, Loi modifiant la Loi relative aux langues officielles, issue de ces négociations, recevait la sanction royale. Cette nouvelle version de l’article 41.1 se trouve maintenant dans la loi. Elle maintient au paragraphe 41.1(1) la définition d’association professionnelle qui était présente dans la version de 2013. Le paragraphe 41.1(2) est, cependant, modifié afin de prévoir que lorsqu’une association professionnelle exerce ses pouvoirs d’admettre, de suspendre ou d’expulser une personne, elle se doit de dispenser les services et les communications liés à cet exercice dans les deux langues officielles et, s’agissant de son pouvoir d’imposer des exigences, elle doit s’assurer que quiconque peut satisfaire à ces exigences dans la langue officielle de son choix. De plus, le paragraphe 4.1(3) prévoit que nul ne peut être défavorisé du fait qu’il a exercé son droit de choisir la langue officielle dans laquelle il satisfait aux exigences qu’impose l’association professionnelle.
Ces nouvelles dispositions sont importantes, car elles répondent aux critiques qui ont souvent été formulées contre les associations professionnelles par les francophones en ce qui concerne la qualité des examens d’admission et des cours de formation continue offerts aux membres. Plusieurs postulants francophones à une profession devant la qualité médiocre de certaines traductions choisissaient de faire leurs examens d’admission en anglais. Ils étaient donc placés dans une situation désavantageuse par rapport à leurs collègues anglophones. De plus, dans de nombreux cas, les documents permettant aux postulants de se préparer pour les examens d’admission n’étaient disponibles qu’en anglais. De telles situations devraient donc, dorénavant, être contraires aux obligations imposées aux associations par la Loi sur les langues officielles. Nous verrons que malheureusement tel n’est pas encore le cas en ce qui concerne l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick.
Le paragraphe 41.1(4) rectifie, pour sa part, une omission importante du législateur dans la version de 2013. En effet, il prévoit que les associations professionnelles doivent non seulement offrir leurs services et leurs communications dans les deux langues officielles à leurs membres, mais aussi au public qui interagi avec elles. Les associations devront donc s’assurer d’offrir en tout temps, aux deux communautés de langues officielles, un accès égal à des services de qualité égale dans les deux langues officielles.
Pour en revenir à la situation avec l’Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick, le Commissaire aux langues officielles d’Entremont a produit en 2018, un excellent rapport concernant la situation que vivaient les étudiantes francophones lorsque venait le temps de passer l’examen d’accès à la formation d’infirmière[74]. Je vais tout d’abord rappeler les faits.
Dans cette affaire, les parties plaignantes, des étudiantes infirmières francophones, alléguaient qu’elles avaient été défavorisées parce qu’elles avaient choisi d’employer le français pour satisfaire aux exigences imposées par l’Association pour avoir accès au droit d’exercer la profession d’infirmière. Elles mentionnaient en particulier des problèmes avec la traduction et l’adaptation vers le français de la version anglaise de l’examen d’admission à la profession, soit le National Council Licensure Examination-Registered Nurse (NCLEX-RN). Par ailleurs, les parties plaignantes dénonçaient un manque de ressources en français, pour la préparation à cet examen. Rappelons que cet examen, conçu et préparé aux États-Unis, est utilisé par toutes les provinces canadiennes, à l’exception du Québec.
À la suite de son enquête, le Commissariat aux langues officielles a conclu que l’association avait enfreint la Loi sur les langues officielles, en adoptant un examen d’admission qui défavorise nettement les candidats francophones. En effet, il existe un écart considérable quant aux ressources de préparation à l’examen qui sont disponibles pour la communauté́ linguistique anglophone par rapport à ce qui est disponible pour les francophones. La Commissaire aux langues officielles d’Entremont notait qu’il n’existe qu’une seule banque de questions en langue française – ne comportant aucun examen de simulation et offrant seulement un nombre limité de questions préparatoires, alors qu’il existe sur le marché́ un large éventail de simulations d’examen de langue anglaise de haute qualité́. Par conséquent, les candidates francophones ne sont pas sur un pied d’égalité́ avec les candidates anglophones.
Je reconnais que l’association n’exerce aucun contrôle sur ces ressources préparatoires. Toutefois, comme le notait la Commissaire, l’examen NCLEX-RN n’existe pas en vase clos et l’association ne peut faire abstraction de l’existence de ces ressources et de leur disponibilité́. La Commissaire en tirait donc la conclusion que depuis que l’association a pris la décision d’utiliser l’examen NCLEX-RN, les candidats francophones et anglophones ne se trouvent plus sur le même pied d’égalité́.
Cette situation a d’ailleurs eu pour conséquence que de nombreuses étudiantes infirmières francophones ont pris la décision de passer cet examen en anglais. Malheureusement, ce ne sont pas toutes ces étudiantes qui ont les compétences linguistiques nécessaires pour le faire et celles qui doivent faire l’examen en français continuent à se sentir défavorisées et souvent elles se voient privées de la possibilité d’exercer la profession pour laquelle elles ont été formées en raison de leur insuffisance dans la langue anglaise. Les étudiantes anglophones n’ont pas à vivre ce stress.
À la suite de son enquête, la commissaire avait formulé les recommandations suivantes :
· que l’association prenne les mesures qui s’imposent afin que les exigences d’admission à la pratique de la profession infirmière au Nouveau-Brunswick respectent pleinement le paragraphe 41.1(3) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick;
· que peu importe l’examen d’admission choisi par l’association, toute traduction de l’examen et toute modification soient faites par un traducteur agréé;
· que l’association fasse rapport au Commissariat des mesures prises pour respecter le paragraphe 41.1(3) et ce, au plus tard le 4 septembre 2018.
Malheureusement, depuis le dépôt de ce rapport rien n’a changé. L’Association refuse toujours de prendre les mesures qui s’imposent pour corriger la violation de la Loi sur les langues officielles et elle continue à maintenir la position que l’examen est équitable. Le gouvernement provincial, pour sa part, refuse d’assumer ses responsabilités et d’exiger que l’Association respecte la loi. Je me demande si le gouvernement se cacherait derrière la soi-disant « indépendance » des associations professionnelles si une d’entre elles enfreignait une disposition de la Loi sur les droits de la personne dans l’application de ses critères d’accès à la profession. J’ose espérer que non. Alors, pourquoi, est-ce différent pour la Loi sur les langues officielles, une loi quasi-constitutionnelle ayant préséance sur toutes les autres lois y inclut les lois constitutives de ces Associations?
Pourtant, il y existe une solution simple à ce dossier. Il existe actuellement un examen qui corrigerait la situation si elle était adoptée par l’Association. Cet examen créé par l'Association canadienne des écoles d'infirmières a été élaboré en français et en anglais et est offert dans ces deux langues. Il suffirait que l’Association accepte cet examen et, si elle veut garder l’examen NCLEX pour les infirmières qui désiraient faire cet examen, elle pourrait également le faire. Si l’Association n’agit pas sur ce dossier, je maintiens que le gouvernement provincial a une responsabilité constitutionnelle et morale de s’assurer qu’elle le fasse, sinon, il devra le faire pour elle.
Ceci étant dit, je propose que les dispositions de la Loi sur les langues officielles traitant des associations professionnelles soient modifiées pour y ajouter :
· l’obligation pour les associations professionnelles de déposer annuellement un rapport auprès du premier ministre et du Commissariat aux langues officielles dans lequel elles énumèrent les moyens mis en œuvre pour assurer le respect de leurs obligations linguistiques;
qu’une association professionnelle qui omettrait de se confirmer à ses obligations linguistiques pourrait voir ses activités suspendues jusqu’à ce que les corrections nécessaires soient faites.
[1] (R-U), 30 & 31 Vic, c 3, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 5. [2] Voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol 1 à la p 21‑10; Law Society of British Columbia c Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 RCS 113 aux para 38-43 et 46; et Krieger c Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 RCS 372 au para 33. [3] Voir, entre autres, J.K. Lieberman, « Some Reflections on Self-Regulation » dans The Professions and Public Policy, Toronto, University of Toronto Press, 1976 à la p 89. [4] Cette liste a été compilée à la suite d’une enquête menée par le gouvernement provincial en janvier 2015. [5] Malgré mes recherches je n’ai pas pu trouver la loi créant cette association qui pourtant a été identifié dans la liste préparée par le gouvernement provincial. [6] Loi constituant en société l’Association de cosmétologie du Nouveau-Brunswick (Loi sur la cosmétologie), LNB 1998, c 48. [7] Loi constituant le Collège des massothérapeutes du Nouveau-Brunswick (2009). [8] Loi concernant la podiatrie, LNB 1983, c 101. [9] Loi constituant l’Association des agents immobiliers du Nouveau-Brunswick, LNB 1994, c 115. [10] Loi relative à l’association des architectes du Nouveau-Brunswick, LNB 1987, c 66. [11] Loi constituant en corporation l’Association des arpenteurs-géomètres du Nouveau-Brunswick, LNB 1986, c 91. [12] Act Respecting Dental Technicians, LNB 1957, c 71. [13] Loi constituant l’Association des barbiers immatriculés du Nouveau-Brunswick, LNB 2007, c 82. [14] Loi constituant en corporation l’Association des chiropraticiens du Nouveau-Brunswick, LNB 1997, c 69. [15] Loi relative à l’Association des designers d’intérieur immatriculés du Nouveau-Brunswick, LNB 1987, c 67. [16] Loi relative à l’Association des diététistes du Nouveau-Brunswick, LNB 1988, c 75. [17] Loi sur les embaumeurs, les entrepreneurs de pompes funèbres et les fournisseurs de services funèbres, LNB 2004, c 51. [18] Loi relative à l’Association des ergothérapeutes du Nouveau-Brunswick, LNB 1988, c 76. [19] Loi constituant l’Association des évaluateurs immobiliers du Nouveau-Brunswick, LNB 1994, c 108. [20] Loi relative à l’Association des forestiers agréés du Nouveau-Brunswick, LNB 2001, c 50. [21] Loi sur les infirmières et infirmiers auxiliaires autorisés, LNB 1977, c 60. [22] Loi sur les infirmières et les infirmiers, LNB 1984, c 71. [23] Loi sur les professions d’ingénieurs et de géoscientifiques, LNB 1986, c 88. [24] Loi relative à l’Association des médecins vétérinaires du Nouveau-Brunswick (Loi sur les vétérinaires), LNB 1990, c 70. [25] Loi concernant les officiels de la construction et l’Association des officiels de la construction du Nouveau-Brunswick, LNB 2002, c 56. [26] Loi sur les opticiens, LNB 2002, c 58. [27] Loi sur l’optométrie de 2004, LNB 2004, c 50. [28] Loi constituant l’Association des orthophonistes et des audiologistes du Nouveau-Brunswick, LNB 1987, c 71. [29] Loi concernant l’Association des travailleurs paramédicaux du Nouveau-Brunswick, LNB 2006, c 33. [30] Loi sur les technologistes de laboratoire médical, LNB 1991, c 67. [31] Loi constituant l’association des Technologues en radiation médicale du Nouveau-Brunswick, LNB 2004, c 45. [32] Loi sur les thérapeutes respiratoires, LNB 2009, c 18. [33] Loi de 1988 sur l’Association des travailleurs sociaux du Nouveau-Brunswick, LNB 1988, c 78. [34] Loi de 1996 sur le barreau, LNB 1996, c 89. [35] Loi relative à la Société médicale du Nouveau-Brunswick et au Collège des médecins et chirurgiens du Nouveau-Brunswick, LNB 1981, c 87. [36] Loi concernant le Collège des physiothérapeutes du Nouveau-Brunswick, LNB 2010, c 7. [37] Loi sur le collège des psychologues, LNB 1980, c 61. [38] Loi de 1998 sur les comptables agréés, LNB 1998, c 53, remplacé par la Loi sur les comptables professionnels agréés, LNB 2014, c 28, art 1 : « lois antérieures » L’ensemble des lois suivantes : la Loi de 1998 sur les comptables agréés, chapitre 53 des Lois du Nouveau-Brunswick de 1998, la Loi sur l’Association des comptables généraux accrédités du Nouveau-Brunswick, chapitre 86 des Lois du Nouveau-Brunswick de 1986, et la Loi de 1995 sur les comptables en management accrédités, chapitre 55 des Lois du Nouveau-Brunswick de 1995, ensemble leurs modifications. [39] Loi concernant la Corporation des traducteurs, traductrices, terminologues et interprètes du Nouveau-Brunswick, LNB 1989, c 66. [40] Loi constituant en corporation l’Institut des agronomes du Nouveau-Brunswick, LNB 2004, c 46. [41] Loi sur les urbanistes professionnels certifiés, LNB 2005, c 34. [42] Loi concernant l’Ordre des hygiénistes dentaires du Nouveau-Brunswick, LNB 2009, c 10. [43] Loi sur la Pharmacie, LNB 1983, c 100. [44] Loi relative à la société dentaire du Nouveau-Brunswick (Loi dentaire du Nouveau-Brunswick, 1985), LNB 1985, c 73. [45] Loi sur les denturologistes, LNB 1986, c 90. [46] Loi relative à la société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick, LNB 1986, c 92. [47] Loi concernant la Société des technologues en cardiologie du Nouveau-Brunswick, 2004, c 49. [48] Royal Commission, Inquiry into Civil Rights, (Commission McRuer), 1968, Report no 1, vol 3 à la p 1162 [Inquiry into Civil Rights]. [49] Voir Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, « Procédure relativement à un projet de loi d'intérêt privé », en ligne : <http://www.gnb.ca/legis/publications/billbecomeslaw/bill4-f.asp>. [50] Inquiry into Civil Rights, supra à la p 1183. [52] LN-B 2002, c O-0.5 [LLO]. [53] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. [54] (1992), 130 RNB (2e) 53, [1992] AN-B no 672 (QL). [55] SNB 1958, c 64. [56] [1990] 3 RCS 229, 76 DLR (4e) 545. [57] [1990] 3 RCS 483, 76 DLR (4e) 700. [58] [1997] 3 RCS 624, 151 DLR (4e) 577. [59] Ibid au para 43. [60] [1997] 3 RCS 844 au para 48, 152 DLR (4e) 577 [Godbout]. [61] Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 RCS 295 au para 16. [62] [1989] 1 RCS 143, 56 DLR (4e) 1. [63] 50 OR (2e) 118, 16 DLR (4e) 489. [64] 54 OR (2e) 513, 26 DLR (4e) 728 (CA Ont). [65] 2001 NBCA 117, 242 RNB (2e) 259 [Charlebois]. [66] Supra. [67] Ibid au para 51. [68] Voir également Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd [2000] 1 RCS 342 au para 31, 183 DLR (4e) 1; Ramsden c Peterborough (Ville), [1993] 2 RCS 1084, 106 DLR (4e) 233; Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 aux para 32-36; Public School Boards’ Assn. of Alberta c Alberta (Procureur général), 2000 CSC 45, [2000] 2 RCS 409 au para 33; Freitag c Town of Penetanguishene (1999), 47 OR (3e) 301, 179 DLR (4e) 150 (CA); et en particulier le passage du juge Linden à la p 663 dans Re McCutcheon and City of Toronto (1983), 41 OR (2e) 652, 147 DLR (3e) 193 (CS), cité avec approbation dans l’arrêt Godbout, supra au para 52. [69] Voir, entre autres, R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768, 173 DLR (4e) 193. [70] Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, LRN-B 1973, c O-1. [71] LLO, supra, art 16 et 17. [72] Ibid, art 19. [73] Ibid, art 21. [74] Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick- Rapport d’enquête - Association des infirmières et infirmiers du Nouveau-Brunswick – mai 2018 https://languesofficielles.nb.ca/documents/2019/09/2016-3071-rapport_denquete-web.pdf